Ma mère
Mon frère et moi nous sommes retrouvés avant l'heure pour nous rendre à l EPADH de Bagneux; j ai connu pire lorsque je pense à la "maison" où vivait mon propre père: chambre à deux, bruits, direction visiblement intéressée par la gestion (au sens du rapport financier).
Repas dans notre brasserie "traditionnelle", correct sans plus; mais en revanche et à mon grand plaisir, l échange a surtout porté sur le monde actuel et son avenir sombre (mon frère m'avait reproché mon pessimisme; et lui?)
Bus 188 quelques arrêts et l échange s est poursuivi sans modération: amis, enfance, éducation médiocre reçue (ou plutôt absence d éducation), état de la France, du monde, catastrophe écologique et évocation de ce courant dit "collapsologie" que je connaissais déjà: c est la "science" de la catastrophe annoncée et de la fin de ce monde tel que nous le vivons puisque les hommes ne font rien; en gros les collapsologues constatent la faillite et l égoÏsme; au total les jeux sont déjà faits quoi qu on fasse et les phénomènes climatiques sont hors de tout contrôle. Bref; ces phénomènes sont irréversibles.
Homo dit "sapiens" ne l est pas. Voir le siècle dernier et ce siècle. Comme si le malheur était décidément préféré au bonheur.
Vision sinistre à la Hobbes ou dans une tonalité plus spiritualiste à la Dante.
Je vous renvoie à Edgar Morin, ce vieux jeune homme qui a fait les délices de jeunesse. Formidable éclat de cette intelligence toujours vigilante et capable d aller à l essentiel. Je traiterai de la collapsologie plus avant une autre fois.
Ma mère donc; nous l avons trouvé au second étage, où sont regroupés les pensionnaires en fauteuil roulant; elle était penchée, soutenue par des coussins...Nous nous sommes approchés de cette femme chargée d années, notre mère. Visage un peu pâle, yeux assez vifs, d'abord pas de réaction et mon frère de se livrer à son numéro habituel pour faire "vivre" ce corps désarticulé comme sans ressort; il agite ses bras de grands mouvements censés "la" ranimer, l éveiller de son état de torpeur...Enfin une esquisse de "sourire", qulelque "mots" baragouinés; je pris quelques photos de celle qui fut un beauté disputée par bien des hommes...
Un soignant dont j ai compris au nom sur le badge et à son accent de la "grande île" qu il était malgache a fait le point; elle n est pas douloureuse, elle se tient parfois droit dans son fauteuil, elle crie, chante et parle la nuit; on lui fait alors avaler un "calmant". Bon je n aime pas beaucoup mais je fais quand même confiance au personnel spécialisé (vu le prix...).
On imagine que le fou rire déclenché et entretenu par moi avec notre sympathique soignant avait bien pour fin de nous "alléger" de ce poids de cette maison et du "spectacle" de ses pensionnaires abîmés par l âge, le passage du temps, les épreuves de la vie, de toute vie.
Je vais à l EPADH avec des sentiments complexes: à la fois content de "la" voir en vie, inquiet avant, rassuré en général après, et dans la reviviscence d affects très anciens,; ce déplacement dans l espace étant du même coup un voyage dans le temps.
Ma mère, vu de moi fut comme il se doit différente selon mon âge: enfant elle était assez dure maniant la ceinture et répétant: "vous me rendrez folle" (pourquoi alors faire des enfants?) mais du même coup m appelant "mon trésor"; incohérent non? puis cette habitude incroyable et fortement pathogène de me considérer toujours comme "le malade de service" mon frère lui se trouvant dans le camp des bien portants. Terrible casting de ma mère qui devait se prolonger très, très tard; elle s est arrangée pour, toujours m avoir auprès d elle (vous pensez un "débile" a besoin de sa maman...)
Petite école, elle était secrétaire et moi élève; collège et lycée idem; puis j eu la possibilité à Paris d avoir un petit job au Lycée Chaptal à Paris où encore elle était secrétaire...
Etonnez-vous après du résultat; on ne traite pas impunément un garçon dans une société méditerranéenne machiste...
Mais de mon côté j y trouvais mon compte puisque en cas de "pépin" maman était là. Elle m a fabrique en grande partie et j ai consenti à cette assignation parce que j y trouvais mon compte et que ce "confort"" me dispensait d affonter la dureté de la vraie vie.
Sans compter pour achever le tableau que mon oncle le grand médecin était là pour les ordonnances de dispense de gymnastique.
On voudrait faire une poule mouillée on ne procéderait pas autrement...
Par la suite névrose grave, hospitalisation, crises de panique éprouvantes, difficultés gigantesques avec l autre sexe, peur de tout et de rien, dépersonnalisation très pénible (avec un épisode d héautoscopie; je me suis vu devant moi; cf Musset), environ 5 oou 6 thérapeutes.
Je suis ce que ma mère a fait de moi et avec une complaisance de ma part soyons honnêtes.
Et maintenant l âge vécu douloureusement avec la perte de la protection de longues années et l apprentissage d une solitude plus dure avec une société qui par tous les moyens possibles favorise cette solitude.
Ma mère reste ma mère; pour le meilleur et pour le pire elle m a "donné le jour". Je sais lui devoir respect comme à toute mère.
Mais j ai appris par la suite que cette femme était à l époque trop "personnelle", trop égocentrée, trop préoccupée d elle-même et in fine de son propre confort d'abord.
Elle m a instrumentalisé se servant de moi comme dune prothèse de son Moi au total bien fragile derrière les apaprences de "la femme forte".
La femme forte, pour moi, est forte de se aiablesses assumées par elle-même et pour elle-même.