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Choses vues entendues sues
5 novembre 2016

Le passé

J évoquais hier le passé avec mon frère, ravivé à l'occasion d'une bien triste nouvelle qu'il m'a apprise à l'occasion de la visite à ma mère, que j ai trouvée en forme et contente de nous retrouver (décidément étrange maladie qu'Alzheimer: pourquoi ces changements d'humeur, de discours, de comportement? il paraît que plusieurs formes sont possibles; un médecin m'a parlé aussi de troubles circulatoires qui peuvent compliquer le tableau). Cette nouvelle: le décès de son ami de toujours (études secondaires et supérieures ensemble) émigré tôt aux USA à New York; il s y est marié à un américaine d'origine russe, vivait à Brooklyn et a eu une fille, avec laquelle les relations n'étaient pas toujours aisées. Ce garçon que j ai aussi connu ne s'est jamais adapté à la vie là-bas (et moi? me suis-je adapté à la vie ici? Non hélas, soyons honnêtes (les mentalités comme on dit sont si différentes...); ce problème de "l'adapatation" est un problème complexe mettant en jeu bien des éléments mais je compte vider mon sac à ce sujet...

Le malheureux ami (malheureux pour d'autres raisons encore: parents peu accordés, frère psychopathe suicidé, qui, lui était mon camarade de classe: garçon brillant mais difficile à vivre) pensait refaire sa vie encore jeune mais le "destin" en a décidé autrement. Il est mort dune forme rare, grave et laissant peu d'espoir au malade... J'ai connu dans ma vie plusieurs cas où le mauvais sort semble s'acharner sur certains êtres.

Le passé donc; on sait classiquement que le passé exerce plus ou moins d' emprise sur nous à mesure que le temps passe et il passe (comme disait je ne sais plus qui avec un peu d'humourle temps reste mais nous passons; oui en jouant sur les mots).

Un petit enfant est tout entier dans le présent; il est présent au présent et l instant est vécu intensément parce que neuf, découvert pour la première fois, dans l émerveillement...Le temps est perçu de ce fait différemment , comme un présent permanent. Le photographe Doisneau capte le moment présent à l'instant fulgurant où il se dévoile à lui dans son jaillissement pur et sa nouveauté. L'être qu'il saisit nait à lui-même (lui, le photographe qui regarde avec des yeux d'enfant et lui, le sujet du cliché) avant que l habitude le fixe et le fige dans le répétitif, le construit, la convention. Dans la vérité de la vie, non dans la fixité des rituels, des tics, des habitudes. J'aime citer Malebranche, disciple de Descartes: "une âme morte est une âme complètement habituée".

Le rapport au temps est très différent chez la personne âgée en général: les artistes âgés ont une lueur dans le regard qui exprime l'étonnement d'exister: connaître c'est con-naître, naître avec...

La personne âgée sauf à créer (ou recréer le monde par son art) jette un regard qui dit le "déjà vu". Comme un spectateur de cinéma devant un remake permanent ou un auditeur qui repasse indéfiniment le même disque. On parle de blasement, du néerlandais paraît-il "gonfler, user par l alcool". Intéressante cette étymologie...

Vous passez le même film de la vie, c est le même que vous percevez derrière le différent. L'artiste a contrario voit le différent derrière le même.

Difficile de comprendre ce phénomène: certes de facto on a déjà observé des centaines de fois des couples d'amoureux (ô Doisneau!), des scénes de rue, des réactions de colère, de joie, de surprise. la vie semble ne plus réserver de surprise justement. Emoussement des sens et habituation du regard, comme une fatigue de l être, une économie de la dépense vitale...

Mais cette usure a un avers, celui de la protection; la personne âgée a peur de la nouveauté; le même la rassure parce que son corps change et son esprit change (pas dans le sens souhaité). Du coup elle se raccroche au familier (dans familier il y a famille, ce groupe humain originel constitutif de notre être) qui est comme la source nourricière, le cocon protecteur, maternel. L'étranger fait peur parce que c est l inconnu qui va ajouter du changement au changement.La vieillesse est le lieu du changement incessant. Politiquement la personne âgée opte pour le parti de l'ordre; l'ordre est prévisible, le mouvement porteur d'inconnu. Je repense aux élections étatsuniennes! regardez les supporters du clown sinistre et appréciez leur âge moyen.

D'où le recours et le retour incessant au passé: le passé est garant de la continuité de l'être qui est mise à mal par les transformations du corps propre. Il a aussi une face positive car la mémoire alliée à l'imagination l élabore ("hier c était mieux") et l esthétise (la mélancolie rejoue le passé on le regarde avec tendresse pour metttre à distance la rudesse ressentie du présent).

Et tout simplement, il est à disposition, sous contrôle; le présent s impose sans demander notre avis. Le présent actuel objectivement en plus est difficile, car trop de choses changent ne même temps et trop vite...

Mais le passé pèse, rancit, encroûte, durcit. En protégeant il insensibilise; en rassurant il fige. Or la vie est mouvement, changement permanent. Cézanne peignait jusqu'à sa mort, Kant pensait jusqu'au bout, Molière est mort sur scène.

L âge est dans le regard porté sur les choses et l'tdée qu on se fait sur elles. Le regard au sens de l'éclat qu il porte en lui et au sens de l'émotion qui palpite toujours au contact sensible de l'objet perçu, de ce qui dans la vie est changement.

Au point de vue philosophique, c est choisir Héraclite contre Parménide. Héraclite: "je ne me baigne jamais dans la même eau."

La jeunesse est un état d'âme...

 

 

 

 

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