Le pouvoir de la littérature

Je suis un bon liseur; depuis tout petit, les livres m'ont apporté plus et autrement que les médecins, s'affairant autour de moi, très malade, en péril de mort. Le courage de vivre.

Je dois beaucoup à ces livres, que j'ai lus par centaines depuis ce moment inaugural. Ils m'ont sauvé de la dépression sinon du suicide; je leur dois de surmonter la perte et les pertes, celles d'un être cher ou d'un être qui m'abandonnait.
Les livres sont plus et mieux qu'une compagnie humaine; une intelligence, une sensibilité, une expérience, une confidence, une sagesse semblaient me chuchoter, semblent encore me chuchoter: "tu n'es pas seul, tu sais, je te comprends ou "regarde la nature, regarde en toi, regarde que tu n'as pas tout perdu que tu n'es pas totalement perdu".
J'étais un enfant trop "sage", trop sérieux, trop "sauvage", trop peureux; mais les livres furent mes petits compagnons plus vifs, plus à l'écoute, plus intelligents, plus sensibles, plus en avance sur le chemin mais pour autant humbles.
Ils m'ont enseigné, ces auteurs de livres et la morale et la patience et la beauté encore là, malgré toute la laideur du monde; je n'étais pas tout seul avec mon chagrin sans mots; des gens comme moi mais plus avancés dans le déchiffrement de ce monde me tendaient une oreille ou me chuchotaient des mots pour moi seul; ils me disaient encore bien des choses, plus que ce qu'ils disaient, et mieux.
C'était une petite musique familière, un air bienfaisant, une chanson triste parfois mais non desésesparante, joyeuse mais vraie.
A mon âge avancé, Sandor Marai m'apprend encore; non, tout le monde n'est pas forcément et vulgairement antisémite et ne souhaite pas ta disparition de la surface de la terre.
Julien Green, dans son immense Journal a dit combien il détestait les juifs d'abord, comme çà, "comme tout le monde"; mais sa mère qu'il adorait, croyante et bonne, l'a sermonné: "tu ne peux pas, tu ne dois pas". Julien Green a définitivement compris la leçon.
Mon ami cinéaste, mariée à une allemande d'origine juive polonaise qui a préféré oublié ses racines (tant il est insupportable de vivre avec "çà") à qui je parlais hier au téléphone du grand acteur-humoriste Louis de Funès à qui je dois tant de bons moments m'a appris, à propos du célèbre film "Rabbi Jakob" que justement j'ai toujours considéré comme un film bienveillant sur ces juifs, objet de tant de haine que lui aussi partageait le préjugé de tout le monde autour de lui.
 Et pour entrer dans la peau du rabbin orthodoxe qu'il a magnifiquement incarné a du se documenter, étudier, simplement approcher ces "gens" étranges, "formant bande à part", "amoureux fous du pouvoir et de l'argent", trop exubérants ou trop sournais ou invisibles mais flairés par le "radar" de l'antisémite avéré. 
Et - ô miracle! - il leur a parlé, à ces gens-là (Jacques Brel) et il les a regardés en face, parlé en face, les a écoutés, en a détesté certains et aimé d'autres; non, ils n'avaient pas trois cornes ni cinq plumes ni le nez busqué (en france, ici à paris il y a peu même j'ai entendu cela, quelques années avec le "Volkische Beobachter" nazi).
Ces gens-là étaient comme lui, il savaient rire et pleurer, chanter et danser, comprendre et ignorer.

Les échanges, l'écoute attentive, l'audace de questionner, la volonté de comprendre, le courage de surmonter ses peurs, voilà ce que m'ont apporté les auteurs de livres; voilà ce que Louis de Funès a compris et appris: ces "gens-là" sont différents et semblables à la fois, tout comme lui, tout comme tout le monde autour.
Amélie Nothomb a dit ce matin avec beaucoup de finesse ce qu'elle devait à la littérature et ce que les adolescents manquent en ne lisant plus.
Pour elle, la littérature, la grande, la difficile de préférence parce qu'elle respecte l'intelligence des jeunes (l'Iliade et l'Odyssée)  est ce qui l'a construit, ce qui l'a aidé, ce qui l'a nourri et ce qui l'a fait grandir et être...