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Choses vues entendues sues
27 avril 2019

La difficulté de vivre, la difficulté de vieillir

Retour à l'EHPAD, chez ma mère, une fois de plus avec mon frère; nous nous étions donné rendez-vous à la Brasserie habituelle; rapport qualité-prix correct mais c'est clair, les prix sont sur une courbe ascendante.

Comme d'habitude, peut-être plus que d'habitude, je parle, parle, parle et j'éprouve un immense besoin de parler à présent que je n'ai plus d'interlocuteurs familiers (je mets à part mes deux fidèles de ce petit blog, qui chacun à sa manière apporte son point de vue qui m'est souvent réconfortant).

Difficulté de vivre, c'est aussi le titre d'un cours que j'ai suivi, étudiant à la Sorbonne, un cours  d'un médecin, philosophe et psychanalyste. Je m'en souviens comme si c'était hier: assistance nombreuse dans l amphi, voix nasillarde de ce spécialiste, jeu avec l'intonation comme tout bon orateur.
Mais ce titre général qui sent son "existentialisme" alors encore à la mode m'avait parlé. Comme si, moi étant jeune donc beaucoup plus insouciant qu'aujourd'hui, j'en ressentais et la justesse et la puissance et l étrange prescience. Comme si je me l'étais sans le savoir approprié m'y reconnaissant dans ce permanent malaise qu a été ma vie entière.

On le sait, le difficulté de vivre, je la vis aujoud'hui, plus que jamais...

Bien entendu, il faudrait dix blogs et encore pour dire cette difficulté de vivre, que la simple raison ne saurait épuiser, elle qui procède par énoncés sous forme de réponses plus ou moins détaillées au "Pourquoi"...
Mais pour moi il est à peu près clair que le vieillir est au premier plan parce qu'il accentue les problématiques de l enfance, comme un retour à un temps fondateur; et comme par hasard c est à l occasion de notre visite à la maison des vieux et de notre mère que ma parole s écoule tel un flot sans fin. Mon frère (heureusement pour moi) tend une oreille, parfois agacée, parfois intéressée à mon propos-fleuve; je crois qu'en gros il comprend ce besoin de dire, dire, dire encore et encore. 
La parole vient recouvrir le silence de la mort, renoue le fil longtemps interrompu, envoie des messages inconscients d'eux-mêmes, des SOS (adressés à qui? pour qui? pour quoi?) que mon frère à la fois très proche et si loin de moi...reçoit et le plus souvent commente et enrichit de sa propre expérience, commune et différentede la mienne; il va sur ses 70 ans et il aime partiellement ce que j'aime et déteste partiellement ce que je déteste.

Et pour la ...xième fois, nous refaisons le procès de nos parents en cette difficile occasion dont chacun de nous deux a souffert, mais à sa manière.

Le thème le plus récurrent: l'absence de véritable échange: une mère suroccupée et plus dans le discours injonctif que réellement compréhensif sur un fond d'anxiété que le petit enfant lui perçoit, malgré l'apparence de la "forte femem"; un père "gentil" mais beaucoup trop enclin à s enfermer dans une bulle (protection? refus de la paternité? abandon à sa femme des enfants?). 

Deux enfants livrés à eux-mêmes, à leurs doutes, à leurs fantasmes et fantômes, et enfermés à leur tour dans une bulle-prison.
Mais est-ce un hasard si  à ma question à mon frère: "d'après toi comment auraient du ou pu être ces parents dans l idéal?", sa réponse ait rejoint la mienne propre?
Pour lui, le philosophe, comme pour moi le psychologue, nous avons pensé que l enfant doit être traité comme un adulte à venir, en devenir, inscrit dans le temps et dans son temps; on doit lui parler, l interroger, lui faire découvrir le monde, partager avec lui, bref le respecter, le reconnaître comme être à part entière, pas comme un porteur de rôle ou de mission (moi réduit au seul rôle de malade chronique, lui comme le clown, l'amusuer d un aîné à soucis).

Et mon frère de citer Dolto, la garnde spécialiste de l enfance qui parlait à des bébés et moi le fabuleux grand-père de l'immense romancier et dramaturge autrichien anti-nazi, Thomas Bernhardt dont j'ai lu toutes les nouvelles. Ah! ce rôle des grand-pères pour les petits-enfants...
Dolto aime et respecte, telle une passionnée de cet âge de tous les possibles, le garnd-père de Thomas le faisant participer à ses interrogations, ses observations, ses réflexions, et on pense à "l Emile" de Jean-Jacques...Et dans cette pédagogie du citoyen de Genève, j admire la modernité, l'éducation d un esprit libre, dans ce grand pays de la pédagogie, la Suisse. Le pauvre Voltaire n a pas compris grand chose à cela, prompt comme à son habitude à dénigrer.

Le drame de nous deux, mon frère et moi (drame au sens de Politzer: chaque vie est un drame) est que nous avons été niés comme enfants, je répète "adultes en puissance" selon la terminologie aristotélicienne.

Bien sûr il convenait de contextualiser cette éducation ratée: dans un pays peu développé au sens de la psychiatrie et d ela psychologie, au sens de la culture ( l enfant c est une bouche qui crie et un estomac à nourrir, image même d un de mes oncles, pédiatre: l enfant c est un tube digestif; ce fut néanmoins un très grand médecin, élève du célèbre Professeur Robert Debré dont la photo géante décorait le cabinet), un pays excentré, avec des femmes aux fourneaux ou comme ma mère, de la "nouvelle génération"  (quelques-unes) accaparées par leur activité professionnelle émancipatrice, et des hommes absorbés par leur fonction d apporter l argent au ménage.

Monde disparu oui, mais monde d où nous venons, mon frère et moi...

Avoir un enfant n est pas une petite affaire, banal que de dire çà; c est une lourde responsabilité et l'éducation, un processus complexe, long, largement hasardeux et ravivant la propre enfance des parents.

Mon frère a mentionné une amie universitaire absorbée par ses études balzaciennes; la fille, du coup, fut dégoûtée par la culture et choisit la carrière...D agent immobilier! Quant à moi, je dirais que ce n est pas tant le fait d être absorbée par ci ou çà qui compte que le messages subliminal véhiculé: ma fille Balzac c est pour moi pas pour toi, Balzac est au coeur pas toi...


Processus complexe qui ne peut faire l'objet d'un programme; l enfant n est pas un ordinateur à programmer mais une liberté à chérir.

J'ai ressenti à travers cet échange combien ce territoire vierge de l'enfance (en partie, à cause de la génétique) pouvait être plutôt que mis en valeur,  reconnu et identifié avec soin, brutalisé même sans et instrumentalisé par un désir venu d'ailleurs où l égo parental trouve de quoi se combler...

 

Je crois que l'enfant, futur adulte, capte les messages, tous les messages des géniteurs; il entend au delà des mots, il saisit le sens secret des choses transmises, il est à l affût d ce sens.

François Dolto aimait les enfants et leur témoignait un profond respect, même en leur parlant comme à des adultes. Mon amie philosophe qui a écrit un très bel ouvrage sur " Freud et le Temps" qu elle m a dédicacé, me confiait que tout enfant elle écoutait la musique des mots; son père était mathématicien; la petite Annette n y comprenait goutte mais ce n était pas bien grave; elle en saisissait un sens ce qui les portait ainsi que Mozart dit de sa musique: mes notes font l amour entre elles...

Plus tard Annnette fit l ENS et se spécialisa en logique, à un niveau élevé, agrégée elle est une germaniste douée, c est une des femmes les plus inspirantes que j aie rencontrée...

Vieillir c est rejouer la scène d enfance mais en la regardant cette fois de très loin comme une pièce sans cesse recommencée mais cette fois avec l oeil d un critique exigeant, plus que jamais car ce critique sait à présent ce qu il doit à ses géniteurs et ce qui lui a manqué et lui manque encore au delà du signe de la perte sous lequel se place la dernière étape d une vie humaine...

 

 



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Commentaires
M
Ce besoin de parler est normal, ne vous en privez pas.<br /> <br /> Votre frère a-t-il une épouse ?<br /> <br /> <br /> <br /> L’enfant devrait être traité comme vous et votre frère le décrive. Mais c’est de cette façon que la société fait maintenant, mais pas à l’époque de votre jeunesse ou de la mienne ; c’est là, toute la différence. Nos parents n’étaient pas ceux de maintenant. Le monde, la façon de vivre et les tabous n’étaient pas les mêmes donc nous ne pouvons pas comparer.<br /> <br /> <br /> <br /> Dolto a ouvert les portes, mais il a fallu de nombreuses années pour qu’elles restent ouvertes et ne se referment pas..<br /> <br /> Je ne dirai pas que ces éducations aient été ratées pour autant. Elles étaient différentes mais avec des valeurs justes et des valeurs, tout court. Ce qui n’est plus le cas maintenant. L’enfance conduit notre vie, c’est certain, mais c’est aussi à nous de combattre ce qui nous fait encore mal.<br /> <br /> <br /> <br /> L’arrivée d’enfants est une responsabilité de tous les jours, personne ne nous a donné le mode d’emploi, nous faisons comme on peut, c’est tout. Et dans l’ensemble, nous y arrivons, justement parce que nous, nous avons encore nos valeurs ancrées en nous, ce qui n’est pas forcément le cas de nos jours pour les jeunes parents. ; Mais c’est à nous de les inculquer, même si le résultat n’est pas celui escompté.<br /> <br /> <br /> <br /> Sur votre dernier paragraphe, vous avez raison et vous n’y pouvez rien. Oui, nous devons l’essentiel à nos géniteurs et le reste c’est à nous de construire notre œuvre.<br /> <br /> <br /> <br /> bon dimanche<br /> <br /> Edith
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