Le pouvoir des chiffres

Pas très content ce matin avec trois ennuis à gérer: souci de santé, inévitable problème informatique (je pense que je n'en parlerai plus tant cela se routinise: c'est horripilant: ce matin, je souhaitais me réinscrire à des cours, je donne toutes les informations mais hop! le grain de sable; mon adresse mail n'est pas la bonne! elle est celle d'un autre! au bas mot, j'ai compté une bonne vingtaine de soucis possibles de cet ordre à mon très humble niveau; merci de me prouver les avantages de l'informatique pour un citoyen lambda comme moi, qui a déjà une overdose de problèmes) et le virus qui circule fort.
 

Et c'est ce sujet que je souhaitais aborder par le biais de cette avalanche de chiffres inquiétants à laquelle nous sommes quotidiennement soumis (au fait n'est-ce pas plus sage d'éviter à nouveau mon exposition aux médias?).

Ce matin, sur Culture (je ne dirai jamais assez l'apport exceptionnel de cette station pour moi: je me sens moins seul, moins bête, plus stimulé).
Nicolas Martin, journaliste scientifique sur Culture a fait un brillant décodage de toutes ces statistiques qui font peur.
Voici ce qu'il en ressort: oui, les chiffres montent de jour en jour mais que signifient-ils au juste? En sautant par dessus les explications, Martin nous démontre que les apparences sont trompeuses et que la circulation du virus ralentit en réalité. De plus si on teste plus on trouve plus de cas positifs: élémentaire, mon cher Watson!

Cependant, on voit encore clair pour une semaine; au delà on ne sait trop.

Il y aurait beaucoup à dire sur les chiffres; on en a besoin tous les jours pour vérifier sa comptabilité, pour évaluer un temps de parcours, pour prendre sa température, pour préciser son poids, etc mais l'approximation est encore tolérable.

La science moderne, que serait-elle sans les données chiffrées? Vous faites un bilan sanguin: une liste de 50 à 100 données chiffrées...Au médecin de prendre le recul nécessaire et de relativiser: le maître-mot.
Mais ce n'est pas le tout de la réalité et bon nombre d'insuffisances et de limitations sont à relever, en particulier en médecine: prenons la T.A.: j'avais un grand-père qui tournait autour de 20 valeur haute et il a a fait de vieux os. Chaque donnée n'a sens que parmi d'autres données, de plus chacun est différent de l'autre et, de plus, chaque donnée est à interpréter, situer, comprendre, contextualiser.

Et c'est tout le problème de la norme aussi qui est ici en cause. Où est la norme en biologie? Souvent introuvable et assez artificielle. il y a des gens qui ont toujours une température supérieure à la fameuse "moyenne". Et pourtant ils ne sont pas malades, d'où l'importance des "fourchettes"...

En revanche dans les sciences dures telle la Physique, la mesure est essentielle (je possède un ouvrage de Physique où les constantes importent comme la vitesse de la lumière et ici les précisions importent).
On pèse les particules subatomiques, les composantes ultimes de la matière et les physiciens ont besoin de précision extrême dans leurs calculs. On évalue le volume et le poids de notre galaxie, la Voie Lactée (de la poésie enfin; les chiffres sont pour beaucoup rébarbatifs)
Effet papillon: une petite brise ici devient typhon là, c'est dire que dans ce cas il faut prévoir un effet multiplicateur en fonction de divers paramètres précis. et pour prévoir il faut bien partir des données initiales précises.
Je n'aime pas les chiffres bien que je possède la monumentale histoire des chiffres de Georges Ifrah passionnante somme de toutes les manières de compter dans toutes les cultures et à toutes les époques.
Je n'aime pas les chiffres étant formé à l'école des sciences humaines (encore que en démographie et en économie que j'ai étudiées les chiffres jouent, mais il convient de choisir, interpréter et "faire parler" correctement), de la littérature et de la philosophie. 
Est-ce un hasard si ce qui "compte" vraiment dans nos vies, l'amour, l'amitié, le "bonheur", la beauté, la mort sont d'un autre ordre, qualitatif lui.

Je ne puis mesurer une amitié parce qu'une amitié est incommsensurable; elle est singulière et unique, comme moi je le suis pour l'autre.

Au passage, je trouve stupide notre manie de tout noter: la prestation du croque-mort, la cuisine de tel restaurant, la réponse à un appel, le conseil de votre banquier, etc. De la "quantophrénie" pure!
Une fois de plus Pascal ce génie universel qui semble avoir eu plusieurs vies, alors qu'il est mort à 47 ans, viendra à mon secours.
Dans un magnifique raccourci il avait compris le gap et l'avait conceptualisé; avec beaucoup de discernement, il a fait le distingo: esprit de finesse et esprit de géométrie.

Par exemple (fictif), j'achète un appartement qui mesure tant de mètres carrés plus petit que l'ancien mais j'ai le coup de foudre pour lui; il a ce "quelque chose" d'indéfinissable que l'autre plus grand n'a pas; les mots sont déjà insufffisants pour dire, alors les chiffres trop abstraits, trop dans la "sérialité" pour reprendre Sartre: soit une file d'attente dans un cinéma: sérialité, les gens sont anonymes, interchangeables, neutres. Mais une querelle éclate et survient le qualitatif, l'affectif, l'existentiel, bref "l'humain".

Bergson lui-même mathématicien et philosophe avait bien perçu l'abime qu'il y a entre le temps des horloges et celui du vécu.

Je terminerai par un dernier exmple: la contemplation d'une oeuvre d'art; je suis fasciné par Soulages le virtuose du noir. Je contemple (dans "contempler" il y a "temple") et je suis comme fasciné par la toile et surgit en moi la foule de sensations, sentimesnts, images, souvenirs qui se pressent; mais déjà on me bouscule; vite, vite, les autres visiteurs sont là.
Le temps, que l'on mesure aujourd'hui avec une précision extraordinaire, est donné par un rayon lumineux bien accordé pour effectuer 9;192.631.770 oscillations: définition d'une seconde.
Le physiciens ont besoin de cette défintion.
Pas moi, pas vous.

B