"Donner congé à la raison"

Assisté hier à la séance inaugurale de la saison 2019-2020 de l'Académie maçonnique; j'ai du une fois encore me faire violence car le thème ne me disait pas (sauver la beauté du monde) et je préférais rester chez moi; de plus l'état de ma mère est toujours très préoccupant.

Mais on ne sait jamais, on ne prévoit pas toujours correctement.

Et en effet, le grand journaliste Jean-Claude Guillebaud, reporter de guerre d'abord et un philosophe africain maçon, professeur, nous ont entretenu de l'état du monde et - ô paradoxe - pour une fois et chacun à sa manière, ont défendu un point de vue optimiste.

Pour Guillebaud, citant Dostoïevski "le beauté sauvera le monde"; la beauté de l'âme de certains, la beauté de la passion joyeuse à la Spinoza, la beauté de la nature (Guillebaud a la chance de se partager entre Paris - il n'arrête pas d'écrire) et une sorte de manoir, en Charente, qu'il continue à retaper à 76 ans; il rend hommage au passage aux millions de bénévoles qui oeuvrent en France et dont les médias ne parlent pas.

Le philosophe africain dans une langue pure et sur un ton posé vit en Alsace et oeuvre pour le rapprochement entre religions; il nous aconté son "initiation" de 10 ans auprès d'une vieille femme de son pays d'origine, Tala qui lui a appris à...respirer.

Il ne suffit pas d'enlacer les arbres selon une mode récente mais de (res)sentir le monde avec l'entièreté de son être. ce qui me renvoie à une parole africaine à méditer: "les blancs pensent trop"; cet homme m'a paru en effet paisible et riche de son expérience de la brousse sous la conduite de sa guide.

Avec en plus le savoir de l'Occident.

Je ne peux m'empêcher de faire lien avec d'une part la démarche phénoménologique: "aller aux choses mêmes" sans passer par le concept, l'idée, a fortiori le préjugé et l'idée toute-faite (c est un noir, donc; c est un juif, donc; c est un corse, donc etc) et d'autre part au bouddhisme.

La raison actuellement hypertrophiée condamne à la dégénérescence (essor excessif de la technique, de l'intellectualisation, de l'instrumentalisation du corps transformé en machine performante) le coeur et la sensibilité.

On aura observé que l'amour est un thème récurrent dans mes billets, cet amour qui peu à peu fait place à la pensée et à la raison et à la haine (pour moi l'indifférence des grandes villes est une forme, atténuée, de haine de l'autre)
Descartes est sans doute venu à son heure mais le scientifique Antonio Damasio, parmi d'autres nous a montré en quoi la sensibilité irriguait l'intellect (cf "l'erreur de Descartes").

Le monde va mal et ces deux auteurs le savent: il suffit de voir!

Mais, l'Africain a pris le parti de l'optimisme réfléchi et l'européen est convaincu que grâce au Beau, dans la nature et dans l homme (les bonnes personnes)  l avenir reste ouvert; il est vrai que chez lui sa foi chrétienne, hors institution, est pour beaucoup dans son propre optimisme avec comme modèle de vie St François d'Assise, frère des astres, des fleurs, des oiseaux et des arbres. Saint pour notre temps avec sa simplicité et sa joie de vivre.

Pour ma part je comprends bien ce que nous transmettent ces auteurs qui pensent et qui sentent; de ma place j'essaye, avec la méditation, de m'accorder avec le monde en m'accordant avec moi-même.
Salomon Reznik, un de mes thérapeutes, comparait notre être à un instrument qu'il fallait accorder pour trouver la note juste.

Avant tout concert, les musiciens ou les choristes s'accordent.

Un concert réussi est celui où chacun se fond dans une unité supérieure à lui.

A notre époque chacun est enfermé en lui, loin des autres et loin de lui.
On est loin du compte et en effet il existe encore de "bonnes personnes".
Suffiront-elles à changer ce monde malheureux?