Un bilan ...mitigé

Une veille de Noël toujours aussi triste pour moi depuis des années; on est à mille lieues de ceux de mon enfance, empreints de douceur et de magie, sans les lourds soucis qui m'assaillent aujourd'hui . Les gens qui me suivent savent tout ce qui me tracasse. Je n 'y reviendrai pas.

Après la déception d'hier après-midi, la double déception du reste: impossibilité d acquérir de vieux livres et désertion du local japonais, je suis rentré chez moi. Puis je suis resorti; à ma grande surprise une discrète petite église sise pres de chez moi, au sein d un complexe hospitalier, St Jean de Dieu dédié aux jeunes atteints de graves troubles moteurs, était éclairée ...de plus du monde s y trouvait sans qu' il y ait un office.

Je m enhardis à pénétrer dans le jardin autour.

Je fus bien inspiré: une immense paix intérieure m'inonda soudain et par la grâce du souvenir je me vis transporté à Cannes, cette ville où je me sens bien et où je suis allé l an derniet accompagné de Mathieu le jeune homme aujourd'hui aux abonnés absents hélas. .

Bien sûr on pourrait s étonner de ma dépendance et de mon incapacité actuelle à partir seul; l hôtelier de Cannes me citait le cas d une vieille cliente nonagenaire, une habituée originaire d une autre région .

Mais chez moi l anxiété diffuse, la tristesse de me vivre abandonné, l anticipation de crises de cafard monstre plus la complication de la vie actuelle plus le climat global incertain et morose qui déteint sur moi font que je reste.

Être accompagné change fortement la donne.

Du coup donc devant la façade aux portes de verre de l église du 19me siècles, aux lignes harmonieuses et classiques, je revivais soudain le sentiment de grande paix, celle même que je ressentais l an dernier sur l ile St Honorat au large de Cannes...l un des deux îles de Lerins. 

Sentiment d éternité face à la mer vide dans une nature sauvage avec ce monastère évoquant une de ces missions espagnoles que l on peut voir aux USA dans une partie de la Californie...

Curieux fonctionnement de la mémoire humaine; à la manière des poupées russes emboitees un souvenir en cache un autre puis un autre puis un autre...à cette dynamique des souvenirs écran s ajouté le jeu des associations.

Cannes est pour moi un lieu de mémoire comme dit Nora: il est d une densité sémantique très forte. Comme un conservatoire des strates de temps: mon adolescence avec un voyage sur la Côte d azur où j adoptai d emblee cette ville somptueuse et claire; ce voyage avec un couple ami perdu, et ces voyages seul depuis 1998 puis avec Mathieu, trois fois sauf erreur...

Je devais m arracher de cette sorte de méditation apaisante devant l église ...une fois encore ma timidité devait jouer ...

L heure n etait pas si avancée (Je rappelle que je n ai actuellement ni télé ni ordinateur et le smartphone fonctionne très mal: panne de réseau à croire que c est fait exprès juste en période de fêtes ) .

Pour me consoler je me dis que de toutes façons le pays ne va pas bien seul ou pas nous sommes embarqués dans une vieille galère. ..

On n a plus que notre mémoire pour nous sauver du désespoir ...

L heure n était pas si avancée me disais-je.

Aussi  me dirigeai-je vers "le divan" la bien nommée, librairie croulant sous les ouvrages de toutes sortes; je me promettai de tenter ma chance avec mon chéquier mais la confiance règne en ce moment...

Et surprise un monde inhabituel dans la librairie avec des caissiers supplémentaires ...

Comme d habitude une envie de tout rafler et les livres recherchés  n étaient pas sur les rayons; mais le regard seul suffit à faire le tri et à imaginer le contenu, le plaisir attendu de la lecture, l intérêt du sujet.

In fine j emportai non sans mal à cause du chéquier qu' on accepta après contrôle (mais quelle époque!) 2 ouvrages: l un d un certain Fouad Laroui un surdiplome d origine marocaine, professeur à  l Université d Amsterdam. Le sujet m attira d emblee: Dieu, les mathématiques, la folie. J en ai presque terminé la lecture à la fois déçu et satisfait 

. Déçu parce que la part vouée à la folie chez les grands mathématiciens est faible et nuancée.

Laroui a raison de dire que tous les grands mathématiciens ne sont pas fous, que les mathématiques ne rendent pas fou!

Je regrette que l auteur apporte une explication superficielle en ne répondant pas de manière plus fine à sa question.

Mais ses observations sur la puissance des mathématiques et leur affinité avec la mystique et l Absolu sont convaincantes.

L évocation des infinis et du transfini chez Cantor est forte.

Platon n est pas très loin avec sa maxime : "que nul n entre ici s il n est géomètre".

Les mathématiques sont bien la reine des sciences: le théorème de Pythagore, le principe de l indecidabilité de Kurt Godel, l équation de la relativité générale d Einstein ramassant le monde en dix chiffres et symboles font ressentir aux grands mathématiciens la joie des grands mystiques.

Ils tutoient Dieu lui même considéré par nombre de penseurs comme le Géomètre suprême. 

Laroui fait à ce propos une observation très interessante: les fous d Allah ont très souvent une formation poussée dans ce domaine.

A titre personnel j ai connu deux jeunes mathematiciens: l un m avait confié que les mathématiques lui apportaient une profonde paix et l autre qui m avait parlé de l incompletude de Godel soulignait la "simplicité" des maths: on n'a besoin que d un crayon et d un papier.

Pour ma part hélas j avais du mal avec la reine des sciences pour des raisons que je continue à essayer de comprendre; Je compte en reparler par après .

Le second ouvrage "La beauté du monde" du grand critique suisse d'origine polonaise, Jean Starobinski à la double formation: lettres classiques et médecine .

De plus pianiste accompli.

C est un grand bonhomme parmi les hommes et femmes qui font honneur à ce petit pays; j ai lu quelque part que rapporté au nombre d habitants, la Confédération le nombre de ses célébrités est le plus important au monde...

Petit pays longtemps déchire dont on dit qu' il est ennuyeux ...peut-être mais la beauté de la nature et la majesté des montagnes de même que l austérité du fond calviniste doivent être pour quelque chose dans cette densité de Rousseau à Piaget, d Ansermet à  Starobinski, de Pestalozzi à Giacometti...

Sans parler de Sils Maria qui devait inspirer " l'éternel retour à Nietzsche dans une vision grandiose .

Mon esprit vagabonde sans doute en ai je besoin...

Il n y a pas pour moi de miracle à Noël sauf à considérer ainsi que nous y invitent les bouddhistes le fait de naître humain comme une sorte de miracle en soi.

Observons que la science considére  aussi du point de vue des probabilités que le fait de naître est un événement très hautement improbable.

Reste pour moi cette lancinante question: que faire de cette vie qui m est insupportable en ce moment?