Qu'est-ce que "l'éveil"?

Redoutable question alors que je sors (justement) des limbes d un sommeil chimiquement provoqué (hélas trois fois hélas); on se doutera bien que mille réponses sont possibles.
Je commencerai par le plus simple, le plus terre-à-terre ça tombe bien; on met le pied sur le sol sitôt réveillé, sur "la terre" ferme. Le Bouddha prend la Terre à témoin comme on voit dans diverses représentations). L'éveil est l'état qui suit le sommeil (on sait que ce état de sommeil a été passionnément étudié par la tradition indienne). Le mental reprend son régime courant de fonctionnement pour répondre aux exigences de la vie pratique; quant au corps, idem, ses fonctions reprennent le cours ordinaire, toujours pour répondre de manière en principe adaptée aux stimuli multiples du monde (aujourd'hui le bombardement des messages a été évalué à 50.000/jour). 

Voilà une première définition; la science démontre maintenant que le sommeil (1/3 de la vie!) a plus d'une vertu. Il permet l'assimilation des connaissances, la restauration de l'énergie,let aujourd'hui (c est moi qui le pense: la protection contre la folie de ce monde).

Ajoutons que le sommeil est un des grands indicateurs de la santé (je pense à ce que disait mon oncle médecin qui a lui-même découvert un traitement contre une maladie tropicale: trois paramètres sont à regarder pour s'assurer que le patient ne va pas mal: sommeil de qualité, appétit, pas de fièvre. Je l'ai souvent vérifié). L'insomnie signe dépression ou angoisse ou les deux ou bien entendu une douleur somatique.

Le sommeil est l'autre état (cf Musil) du cerveau qui va développer des ondes d'une certaine fréquence et amplitude (objectivation) mais aussi l'état de déploiement de l'activité onirique (j'étais un très bon rêveur et ai consigné quelques milliers de rêves depuis mes 20 ans).

Le sommeil a fasciné le monde indien parce qu'il a depuis longtemps vu dans cet état une activité sur un plan plus subtil. Ont été étudés il y a des millénaires sommeil profond, sommeil avec rêves, sommeil sans, rêves lucides...On croit avoir inventé la poudre. Bien des découvertes sommeillent dans les vieux traités de l'Asie. L'Occident excelle (je devrai dire à excellé dans l'exploration du monde extérieur et sa conquête (Descartes), l'Asie, porté vers la contemplation a jeté son regard sur la source de toute appréhension du monde extérieur, la conscience.

Pour mémoire la littérature en langue sanscrite est la plus abondante au monde (Universalis).

L'éveil a d'autres sens, un sens figuré: on parle d'un enfant éveillé qu'il une vigilance apte à réagir vite et bien aux sollicitations.(Je fus dans mon enfance porté à la rêverie et à la distraction; je n'ose parler de ma situation actuelle. J'observe que chez tout un chacun il y a des fluctuations de cet éveil. Des conférences ennuyeuses nous endorment; d'autres vous "allument" et vous inspirent. Au point culminant, nous sommes transportés, hors de soi, du soi, avec une furieuse envie de faire, d'agir, 'entreprendre, de découvrir. J ai fait ce genre d'expérience comme tout un chacun. Un tableau, une note de musique (une simple note), un paysage naturel, un discours intelligent surstimulent, "éveillent". Comme si on sortait du sommeil qu est l'état de veille ordinaire.

Je passe à l'éveil dans différentes traditions religieuses ou philosophiques. La philosophie retient, notamment, la réputation de Socrate comparé à une torpille qui sort de la torpeur ordinaire par ses questions foudroyantes. 

Dans la tradition maçonnique et dans les sociétés initiatiques, une ou des épreuves vous placent ne face d vous-mêmes dans la nudité deevotre être. On parle d'initiation. Le voile de l habitude est déchiré. Prise de conscience de soi désocculté. On pense comme le "on" (des médias, des autres, de l'Autre, rarement par soi). On a une image ou des images de soi. La psychanalyse bien conduite, longue, difficile, semée d embûches, donnnelieu à des révélation sous le regard et grâce à la troisième oreille du thérapeute. Vous n êtes pas seulement un paquet d habitudes et un habit, un rôle ou des rôle usés jusqu'à la corde. On échange la nouveauté du dévoilement avec le choc qu il provoque contre le confort de la coutume (Une âme morte est une âme complètement habituée Malebranche).

Dans les religions monothéistes des cérémonies solennelles font passer à un nouvel état ou du moins mettent dans des conditions pour cela.

Mais l'éveil appartient au vocabulaire des courants de pensée de l'Asie, actuellement en pleine renaissance sur ces terres d'Occident parvenues au terme de leur cycle. Comme une immense fatigue d'être ( d'où  l'immigration, problème pour les uns solution pour les autres).

On parle alors de samadhi en Inde, de satori au Japon, de nirvana dans le Bouddhisme, d'éveil en traduction française. Mais revenons au point de départ? L'éveil est le fait de reprendre  conscience après la jachère (pas tout-à-fait on l'a vu) du sommeil qui répare et consolide.

Dans l'éveil qui peut être progressif ou subit les yeux se dessillent, les voile se déchire, l autre Réalité surgit. 

Comme disait le philosophe Lavis on est "déniaisé". Mot très fort mais juste. Un autre monde apparaît en fait le même monde sinon ce serait une hallucination...avec un regard autre. Comme si la corde qu on a pris pour un serpent est enfin perçue comme une corde (image rhétorique classique et répétitive dans le Vedanta). En ce qui me concerne je puiserai dans deux champs d'expérience; en psychanalyse le thérapeute vous donne la clé de tel comportement et d un coup une libération se produit sur le mode de "c'atait donc çà, que çà".; durant une séance d méditation j'ai sans le vouloir de in-sights. Je comprends certaines choses d ma vie , de celle des autres...Point commun? La pensée passe à un autre régime d fonctionnement, elle se met en roue libre, comme débrayée des fins et de contraintes d la vie ordinaire. mon frère m'a rapporté qu il pris conscience brusquement que les autres avaient d'autres points de vue. Nécessairement. De mon côté je pense de plus en plus reconnaître la part de plaquage sur les autres de son propre mode d'être. Spinoza: ne pas juger, comprendre.Rien à ajouter.

En Asie, notamment dans le Japon traditionnel de nombreux récits témoignent de ce fait: un mot, une observation, un incident, une situation peuvent éveiller. 

Pourquoi? A nouveau une petit anecdote personnelle; j ai un jour pris brusquement conscience de ce miracle qu'est la naissance d un être. (mon petit-cousin). A propos de naissance, les bébés m'étaient complètement indifférents jusqu au jour d la naissance de ma nièce. De ce jour les bébés me devenaient passionnants.

L'éveil, je le répète, ne porte pas nécessairement sur de grandes choses mais de petites choses que la pensée discursive occulte pour des raisons pratiques. 

Comment se produit l'éveil?

J ai déjà posé cette condition de "débrayage" volontaire ou non de la pensée. Mais à mon avis ne s'éveille que celui qui est prêt à s'éveiller et dans les deux sens de l'éveil pour fermer notre boucle.

Soit par un long "entraînement", soit par la rencontre avec un "éveillé" ou un spécialiste laïc de l'éveil, soit par une maturation souterraine (cf les découvertes scientifiques; à force de penser à la même chose on finira par trouver en principe du moins) soit par une rencontre exceptionnelle de circonstances favorables, ce que les Grecs appelaient "kaïros" mais ce dernier cas renvoie en fait à une préparation interne parvenue à l ouverture à cette parole qui n aurait pas fait sens à un autre moment.

Dans le beau livre deMichel Fromaget, "la drachme perdue", il est fait référence aux différentes traditions qui désignent l homme éveillé ou le "deux fois né"; le gnosticisme parle d homme pneumatique, les cathares  de Parfait, l'hindouisme de délivré vivant, la Kabbale d homme de feu, le Tao d'homme transcendant, le bouddhisme d homme éveillé, Saint-Paul d homme nouveau, le christianisme oriental d homme divino-humain.

Mais revenons sur le sol solide (?) du monde bruyant, chaotique, changeant, brutal, violent, malheureux qu est devenu le nôtre.

Plus que jamais sauf accepter et à en souffrir et à le subir s'impose à nous cet "exit" (comme dans les salles de cinéma en pays anglo-saxon) vital: nous extraire de l'illusion et partir à la conquête de la réalité avec un grand R.

C'est pour moi une question de vie ou de mort.

On ne peut plus continuer ainsi.