Malaise dans la culture

Je reprends le titre freudien; il faudrait garder pour l essentiel sa thèse savoir que le processus civilisationnel se paye au prix fort, la négation ou le refoulement des affects, la perte de la spontanéité, la répression pulsionnelle.

Notre époque décidément tragique garde à mon avis les symptômes dégagés par Freud mais en y ajoutant des éléments autrement plus inquiétants. Le développement inouï de la techno-science, qui fait des prodiges au plan médical notamment bouleverse en profondeur notre rapport à nous-mêmes, aux autres, à la nature.

Secteur par secteur, règne l instabilité, le désengagement, l indifférence, l égocentrisme, la fausseté, les troubles anxio-dépressifs. Jamais dans ma vie je n avais ressenti un tel malaise.

La machine commande, le robot devient le modèle des comportements avec l impératif dictatorial de l excellence, de la perfection, de la parcellisation des corps et des âmes.

Le monde du travail est tout particulièrement dévasté par cette pathologie d eun extrême gravité; on ne compte plus les suicides, les burn-out, les démissions, les départs de dirigeants en cours de mandat.

La précarité, l anonymat, l apathie, la démotivation, le rapport au temps distordu, a peur de l engagement autant de signes de l effondrement de ce qui constituait il n y a pas si longtemps une source de dignité.

Les actuelles négociations marathon ne me disent rien de bon. Il s agira d entériner le modèle actuel voire de le renforcer. Vous serez embauchés puis jetés le jour même, sans considération de la qualité du travail accompli ni de votre grade.

Pour mieux dire l homme devient le grain de sable de la méga machine; il ne sert à rien.

Il n y a plus de valeurs que celles de la Bourse.

Je regardais hier la comédie de l arrivée des nouveaux à l Assemblée: rajeunissement (pourquoi pas?) féminisation (bon) mais à quoi ça sert ce cérémonial? On sait bien que les vraies décisions ne sont pas ou plus prises là mais ailleurs du côté des patrons du CAC 40 (on apprend que ces messieurs-dames augmentent encore et toujours leur patrimoine quand le français moyen s échine pour partir en vacances).

Un jeune sensible et conscient (çà existe encore...) me confiait qu il en avait assez de cette déshumanisation et de cette impression d étouffer.

Un jeune! pas un petit vieux ressassant un passé idéalisé...

Le monde va trop mal et partout j y insiste. Ce qui me donne froid dans le dos c est l aveuglement des contemporains qui oublient en faisant joujou avec des selfies et cet affadissement du monde qui  se standardise et se normalise (au sens de "est régulé par des normes" pour tout et pour rien) 

Alain Ehrenberg: " L individu, son corps, et ses symptômes sont devenus une indication d'un dysfonctionnement, d'un perturbation de la relation sociale"

J'ajouterai que cette perturbation de la relation sociale qui fait que l amitié et l amour , existent plus que dans les romans des siècles passés traverse notre propre personne. On n est plus relié ni aux autres ni à soi c est-à-dire aux autres internalisés.

La folie meurtière ou non, la fragilité, l impuissance, la course hystérique à la consommation compensatrice, la frénésie de voyages qui ne font plus rien découvrir, voilà quelques conséquences de ce mal vivre profond révageur et in fine destructeur de notre humanité ou de ce qu il en reste...